Le temps des fleurs...

Revenons à l' été 1971 ......Après quelques jours passés à la campagne ,je décidais de rejoindre des amis . Ces amis ,deux garçons et une fille étaient des copains de lycée ;Thierry , le frère de l' un deux avait acheté une vieille ferme en Ardèche  , il élèvait des chèvres et faisait des fromages qu' il vendait sur les marchés au grand dam de ses parents ( et ceci après avoir réussi l'agrégation de français ) * . 

J' avais l'habitude de la vie à la ferme  , mes grands-parents étant cultivateurs ainsi que deux de mes oncles . Mais je n'avais jamais vu cela  : la ferme avait été abandonnée pendant de nombreuses années ,elle était dans un état de délabrement tel qu'il pleuvait dans les chambres ,il n'y avait pas l'eau courante mais il y avait l'électricité  quelques ampoules pendaient des plafonds et il y avait quelques prises ....

Quand je suis arrivée ,il pleuvait depuis quelques jours ,il y avait de la boue partout ,les gens étaient de mauvaise humeur . Dans la salle du bas , au milieu de la fumée du poêle et des cigarettes ,il y avait foule .  C'était une communauté d'une dizaine de personnes plus tous ceux qui comme moi venaient passer quelques jours ( semaines ou mois ) .La plupart couchait dans des tentes installées derrière la maison .

Ma première impression ne fut pas bonne mais j'étais contente de retrouver mes amis et surtout  , j 'avais besoin de changer d'air . Le lendemain , le soleil était revenu .Je voyais la ferme autrement ,je la trouvais plus avenante .La copine de Thierry m'avait donné un lit (avec des draps! )dans une alcôve de leur grande chambre qui était partiellement refaite et propre .

Au gré des arrivées et des départs,on se serrait (se déserrait ) autour de la table . On mangeait toujours la même chose ,de grandes platées de pâtes ,de la soupe ,du fromage ,du pain trop ou pas assez cuit (le cuisinier ayant toujours un livre à la main était très distrait ) ,on buvait du lait de chèvre et la piquette du plus proche voisin qui venait contempler ,ébahi ,tous ces jeunes chevelus . Il y avait les baba-cools -non violents qui voulaient vivre librement en rejetant les valeurs traditionnelles de la société - et les étudiants d'extrême gauche qui voulaient faire la révolution en renversant le système capitaliste même s'il fallait avoir recours à la violence .Tous voulaient changer le monde  mais personne n'avait le mode d'emploi !!! Les discussions passionnées pouvaient durer des heures et ne débouchaient sur rien .Chacun restait sur ses positions .

Ils étaient peu à travailler sur la ferme ,les autres étaient des visiteurs .Il y avait une grande boite sur le buffet de la salle .Quand les gens arrivaient ,ils déposaient leur participation pour la vie de la communauté .Le système marchait à peu près.....

On n était pas très propres ,le seul point d'eau était une pompe dans la cour qui servait pour tout.

L'été a passé vite ,j'aimais emmener les chèvres brouter dans les champs autour de la ferme , j'aimais faire le fromage ,accompagner la compagne de Thierry sur les marchés , lire toute la nuit à la lumière d'une lampe torche ,écouter (et faire de la musique avec les musiciens de passage ) ,refaire le monde tous les soirs ,ne rien faire si je n'avais pas envie  .............Mais je n'aimais pas me laver dans la cour ,porter le même jean trop longtemps , ne plus avoir d'intimité ,manger tous les soirs de la soupe ,avoir froid quand il pleuvait (les chambres n'étant pas chauffées ,j'appréhendais l 'hiver ) ,ne plus rien avoir de personnel (ma voiture par exemple ,dont tout le monde se servait ) .Et puis il y avait ce bébé qui arrivait ... Avais-je le droit de le faire vivre dans de telles conditions .Il n'aurait sûrement pas manquer d'amour ,tout le monde s'occupant des petits enfants de la communauté . 

Depuis le 15 Août le temps avait changé ,il pleuvait souvent et il faisait frais .Les visiteurs pliaient leur tente les uns après les autres et repartaient vers la ville .La vie devenait plus calme . Je téléphonais à ma mère et là je vidais mon sac .Après un silence ,elle m'a dit "Dépèche toi de revenir ,on t'attend et on t'aime " .

J'ai fait ma valise et le lendemain je rentrais chez moi .

*Thierry a continué l'élevage de ses chèvres pendant encore 3 ans .Il a tout revendu quand sa copine l'a quitté , et il est parti faire le tour du monde pendant quelques années .Puis il a réintégré la vie "normale" .Il a trouvé un travail sans aucun rapport avec ses études .Je le vois quelques fois .Il est très nostalgique de sa vie d'autrefois .Ses parents pensent qu'il a râté sa vie mais lui ,il dit qu 'il ne regrette rien ......

Comments

[Mathilde]

Comme tu racontes bien Mamoun !! on a l'impression d'y être et ça éveille beaucoup de souvenirs semblables !

[mammilou-mijo]

1971 c'est l'année où j'ai passé mon BAC. Je me souviens bien de tous ces jeunes qui partaient vivre en communauté et élever des chèvres. Papylou que je connaissais déjà, a eu lui aussi envie de tout quitter et de tenter l'expérience mais il ne l'a pas fait! Je ne sais pas si j'aurais su m'adapter à une telle vie: j'aimais la vie en communauté un peu rustique, lorsque je faisais des camps d'aumonerie en montagne avec mon lycée, mais cela ne durait qu'un mois et la douche me manquait :-)!

[Moune]

J'aurais adoré vivre ça, j'en rêvais, mais j'étais bien trop sage, j'ai scrupuleusement respecté ce que mes parents me disaient de faire et j'ai fait ma révolution dans ma tête ! Je t'envie ! Et le bébé ? Tout s'est bien passé après ? Tu es revenue à la vie "normale" ?

[Herenui]

Ta Vie est un Roman...J'aime !
Bises

[Brigitte]

Je suis admirative , tu as expérimenté alors que tu étais enceinte la vie dans une communauté , j'imagine l'état d'esprit de tes parents ! C'est bien de bourlinguer quand on est jeune , sans le sou , ça forme les esprits .